Par Anna Bonalume
Ce dimanche « une marche pour la République et contre l’antisémitisme » a été organisée sous l’impulsion de la présidente de l’Assemblée nationale, et du président du Sénat. Y ont défilé les Républicains, ainsi que Renaissance et le Rassemblement National. La France Insoumise a réfusé d’y participer. Celle-ci est une chance parfaite pour la présidente du parti d’extrême droite Marine Le Pen. Après avoir montré sa capacité de siéger en nombre à l’Assemblée, il ne lui manquait qu’une chose : l’accès complet à “l’arc républicain” et l’effacement de l’ombre de l’antisémitisme qui hante le parti, assumé par le père et fondateur Jean-Marie Le Pen. Après leur participation au rassemblement pour Israël le lundi 9 octobre à côté d’organisations juives, et suite aux déclarations de Jordan Bardella sur BFMTV niant l’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen, cette marche contribuera à combler les manques, les suspicions, les dernières craintes à l’égard de la possibilité pour le parti d’extrême droite de gouverner la France. Sa présidente est donnée aujourd’hui favorite aux élections présidentielles et le tabou moral qui empêchait aux électeurs d’envisager un vote RN semble être tombé. Malgré l’urgence et la nécessité de réaffirmer le combat de la République française contre l’antisémitisme, cet événement risque de revêtir une connotation politique bien différente de ses objectifs initiaux. Il s’agit en effet d’une aubaine pour le parti cherchant à opérer une dédiabolisation depuis au moins 2011.
J’ai l’impression de revoir le même mauvais film italien en salle depuis quelques années déjà et dont l’aboutissement a été l’élection de Giorgia Meloni l’an dernier. Fondatrice du parti politique d’extrême droite et postfasciste Frères d’Italie, Giorgia Meloni a réussi à gagner les élections en octobre 2022 grâce au fait d’avoir porté un masque de femme politique modérée pendant tout le temps de la campagne électorale. Ses clins d’œil au fascisme et la revendication de ses origines politiques ont pourtant persisté avant et après la conquête du pouvoir. A plusieurs reprises, ses affiches de campagne ont été une reprise de celles arborant la tête de Giorgio Almirante, le fondateur du Mouvement Social Italien, parti politique fondé en décembre 1946 à l’initiative de fascistes ayant servi dans la République sociale italienne. Ce même parti dont le symbole était une flamme tricolore, la flamme souvent identifiée à celle qui brûle sur la tombe de Mussolini. La flamme tricolore est aujourd’hui le symbole du parti de Giorgia Meloni : à plusieurs reprises des membres de l’opposition lui ont demandé de renier le passé fasciste et de changer ce symbole, mais la présidente du Conseil a toujours refusé, revendiquant cette image comme si son parti pouvait continuer à en être fier. Pourtant, une fois la campagne électorale débutée au mois d’août 2022, la future présidente du Conseil a compris qu’elle devait rassurer les chancelleries européennes et les partenaires internationaux, ainsi que la presse étrangère. Elle a pris soin de diffuser une vidéo en espagnol, anglais et français dans laquelle elle évoquait le fascisme. Elle y affirme : « la droite italienne a relégué le fascisme dans l’histoire depuis des décennies, condamnant sans ambiguïté la privation de démocratie et les infâmes lois antijuives ». Suite à ces déclarations, la presse italienne a cru pouvoir écrire qu’enfin Giorgia Meloni avait condamné le fascisme. Et bien, non. Par cette vidéo, elle a affirmé dans ces trois langues (et pas en italien) que la “droite italienne”, un concept très vague et qui pourrait ne pas la concerner directement puisqu’elle représente plutôt un parti d’extrême droite, a « relégué le fascisme… ». Dans son livre programmatique « Je suis Giorgia », Giorgia Meloni affirme ne pas avoir « le culte du fascisme » et elle évoque également Perlasca, un homme politique fasciste qui a contribué à sauver des juifs à Budapest pendant la deuxième guerre mondiale. De cette manière, Frères d’Italie et Giorgia Meloni n’ont jamais condamné ni le fascisme ni les lois anti-juives. Pourtant Giorgia Meloni, tout comme Matteo Salvini, leader de la Ligue, se montrent très proches d’Israël et de son gouvernement.
Aujourd’hui, depuis l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni, un projet de loi vise à concentrer les pouvoirs politiques dans la figure du président du conseil qui, par une réforme constitutionnelle, serait élu directement par les citoyens. Une rue de Grosseto, ville moyenne en Toscane, historiquement un fief de la gauche, sera consacrée à Giorgio Almirante. Les enfants des couples homosexuels ne peuvent plus être enregistrés dans les municipalités italiennes et tout récemment l’Italie a signé un accord avec l’Albanie pour la création de « centres » pour les migrants qui débarquent en Italie sur le sol albanais. Dante, l’inventeur de la langue italienne et auteur de la Divine Comédie, a été déclaré par le ministre de la culture être le fondateur de la pensée de droite.
Aujourd’hui, 80 ans après la deuxième guerre mondiale, la dédiabolisation de l’extrême droite a été un succès en Italie. En France, jusqu’à présent, il y a eu davantage de barrières constitutionnelles, sociales et morales. Et pourtant, une fois de plus, à la suite des conséquences du conflit entre Israël et le Hamas, l’appui à la lutte contre l’antisémitisme pourra sans doute jouer à la faveur d’une dédiabolisation totale de l’extrême droite française.