Par Anna Bonalume
Le film “Napoléon” de Ridley Scott s’interroge sur la relation entre le pouvoir, le sexe et la violence. Les critiques concernant les incohérences historiques du film ne sont pas fondées, puisqu’il ne s’agit pas d’un documentaire historique (vous trouverez de très bons documentaires sur ARTE), mais plutôt d’un biopic. Le réalisateur peut donc faire appel à l’évocation, à la suggestion, à l’imagination. Par des images inédites et sensationnelles, il évoque des sens et des interprétations autrement inaccessibles par le langage du documentaire ou de l’essai.
La première scène du film, celle où la reine Marie-Antoinette est guillotinée devant le peuple, révèle une puissance historique, sociale et esthétique sans équivalent dans l’histoire du cinéma. Ce début brutal, ainsi que le nombre de soldats décédés lors des campagnes militaires menées par Napoléon (3 millions) présentés à la fin du film, ne sont ni un divertissement, ni une bizarrerie du réalisateur. Ridley Scott avoue son admiration pour le seul peuple européen qui a su couper la tête du roi et changer le destin de l’Europe par sa propre énergie et au prix de la violence. Les morts évoqués à la fin du film montrent l’absurdité humaine de toute campagne militaire et de tout esprit de conquête ayant une ambition impérialiste.
Le film montre le caractère brutal et grossier qui sous-tend l’exercice de tout pouvoir politique flirtant avec des forces antidémocratiques. Au fil des années, Ridley Scott a affiné sa capacité à mettre en scène des dialogues courts d’une extraordinaire intensité. Mais son film se développe avant tout autour de la figure de Joséphine Bonaparte, sa première épouse, celle que Napoléon appelle l’amie fidèle. Elle représente le seul lien indissoluble et indispensable, sans lequel aucune entreprise n’a de sens. À plusieurs reprises dans le film, les deux s’adressent les mots magiques du mystère de la réciprocité : je ne suis rien sans toi.La formule de l’amour total, dans sa dimension de pacification et de refuge, mais aussi de violence et de possession.
C’est de là qu’émergent le courage et la folie de Napoléon, qui n’est peut-être pas toujours conforme au personnage historique, mais qui devient l’image universelle de l’empereur, du conquérant et de la brutalité du pouvoir et de l’amour. Napoléon est prêt à sacrifier trois millions de morts pour honorer et glorifier son pays, son armée et son amour. Dans ce film somptueux, la présence de Joaquin Phoenix est indispensable. Son regard d’homme troublé, troublant et inquiet donne au personnage de Napoléon profondeur et complexité, ombres et fêlures. Joséphine est la femme qui l’a séduit pour sa dignité et sa capacité de survie. Joséphine, comme toute femme, représente la force de la terre et le secret de la diplomatie, à l’opposé de l’esprit impétueux, impulsif et conquérant de l’homme guerrier. Sans Joséphine, l’Histoire ne peut pas être écrite.