Dans une interview accordée à La Repubblica le 13 avril, Marine Le Pen a explicité sa méfiance vis-à-vis de l’OTAN, son scepticisme à l’égard de l’Union européenne et réitéré sa proximité avec Matteo Salvini, le leader de la Ligue.
Par Anna Bonalume
Ce n’est pas nouveau, Marine Le Pen n’aime pas Giorgia Meloni. Lors des élections législatives en septembre dernier, la présidente du groupe Rassemblement national à l’Assemblée nationale ne lui a pas déclaré son soutien.
Pourtant, Le Pen a souvent été décrite comme la « sœur jumelle » de la nouvelle Présidente du conseil italien. Elle partage non seulement ses idées patriotiques et anti-immigration, mais elle pourrait contribuer comme Meloni au bouleversement du paysage politique européen à l’occasion des élections européennes en 2024.
L’entretien de Marine Le Pen avec La Repubblica est extrêmement intéressant car il porte un éclairage sur ses orientations internationales.
Concernant la Chine, elle est convaincue que la France peut incarner seule une voie médiane face à Xi Jinping car “la France est la seule puissance nucléaire de l’UE”, mais sur ce front “De Gaulle avait quelque chose à dire. Macron n’a rien à dire”. En soulignant son positionnement hostile à l’OTAN et eurosceptique, elle prend de plus ses distances avec Giorgia Meloni : “Je reste eurosceptique, et chaque jour qui passe, je le suis davantage. Je ne suis pas sceptique à propos de l’Europe, mais sur l’organisation politique de l’UE. De plus, la France a un héritage politique et une indépendance sur le plan international. Meloni est favorable à l’OTAN parce qu’elle est italienne. Il y a des éléments de son projet que je ne partage pas. Politiquement, je me sens plus proche de Matteo Salvini et je n’adapte pas mon discours aux résultats des élections : je suis une personne loyale”.
Le fait qu’elle ait utilisé le terme « loyale » paraît paradoxal, car c’est précisément ce mot qu’a utilisé Giorgia Meloni pendant la campagne électorale pour gagner les élections législatives en septembre dernier. La dirigeante de Frères d’Italie s’est présentée comme l’incarnation de la cohérence et de la loyauté face aux nombreux revirements de Matteo Salvini.
Mais que signifie, en ce moment historique, ne pas partager les positions pro-OTAN de Giorgia Meloni et préférer les positions de politique étrangère de Matteo Salvini ? Depuis 2014, Matteo Salvini affiche sa proximité avec Vladimir Poutine. En Europe, la Lega a été le parti le plus actif dans la contestation des sanctions économiques contre le régime de Moscou depuis l’annexion de la Crimée. Les relations conflictuelles avec l’Europe et ses institutions se développent avec, en toile de fond, un lien privilégié avec la Russie. En 2014, lors du congrès du Front national à Lyon, Salvini affirmait : « Les choix ignobles des gouvernements occidentaux nous consternent. Il suffit de penser à la Russie et à la politique insensée menée par les décideurs européens qui ne sert certainement pas les intérêts de nos concitoyens. » Plus récemment, lors d’une conférence de presse tenue à Rome en 2020, Matteo Salvini a défini Poutine comme « un homme d’État estimé et respecté » et a affirmé que la Lega au pouvoir travaillera à « améliorer les relations économiques, culturelles, gastronomiques, diplomatiques, géopolitiques et stratégiques » avec la Russie. Aujourd’hui vouloir soutenir les positions de politique étrangère de Matteo Salvini, les préférant à celles de Giorgia Meloni, signifie appuyer la relation privilégiée développée avec la Russie par l’actuel ministre des infrastructures italien et leader de la Ligue.
La position non alignée de Marine Le Pen semble s’exprimer dans son refus d’envoyer des armes offensives « nous soutenons tous l’Ukraine, mais je suis contre la livraison d’armes offensives. Nous avons des divergences avec Meloni ».
En ce qui concerne les élections européennes, Marine Le Pen est claire, elle souhaiterait constituer un groupe unique des souverainistes européens, un projet déjà évoqué en 2021. Le Front National avec la Ligue de Matteo Salvini, le Fidesz du premier ministre hongrois, Viktor Orban, et Frères d’Italie de Giorgia Meloni avaient signé une déclaration commune le 2 juillet 2021. Dans ce texte, ils écrivaient que l’Union européenne (UE) « ne cesse de poursuivre dans la voie fédéraliste qui l’éloigne inexorablement des peuples qui sont le cœur battant de notre civilisation. Forts de ce constat, les partis patriotes les plus influents du continent ont compris toute l’importance de s’associer pour peser davantage dans les débats et réformer l’UE ».
Aujourd’hui le Rassemblement national partage avec la Ligue de Matteo Salvini le même groupe au Parlement européen “Identité et Démocratie”. Le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, appartenant au groupe des Conservateurs et Réformistes européens, semble déterminé à conclure une alliance avec le Parti populaire européen de Manfred Weber, de droite et centre-droite, pour intégrer ce qui représente aujourd’hui le plus grand et le plus ancien groupe européen.
Au moment où la Ligue et son leader Matteo Salvini tentent se replacer au centre de l’échiquier politique, il n’est pas sûr que ces déclarations de soutien de la part de Marine Le Pen soient très bien accueillies par le parti de Matteo Salvini. Que se passera-t-il alors, lors des prochaines élections européennes ? Matteo Salvini maintiendra-t-il l’alliance avec sa vieille et fidèle amie Marine Le Pen ? Ou tentera-t-il cette fois de s’allier avec des mouvances politiques moins extrêmes ?