REPORTAGE. Le leader populiste profite de son procès à Catane pour s’offrir une tribune politique dans cette région en première ligne de la crise des migrants.
Par Anna Bonalume, envoyée spéciale à Catane
Le 3 octobre, Matteo Salvini sera jugé au tribunal de Catane, en Sicile. Il est accusé d’enlèvement aggravé : au mois de juillet 2019, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, il a empêché le débarquement du navire Gregoretti transportant 135 migrants, occasionnant un bras de fer avec l’Union européenne. Le 12 février 2020, le Sénat a approuvé la demande de poursuivre le sénateur qui a ainsi perdu son immunité parlementaire.
Pour le leader de la Ligue, ce n’est pas une période heureuse : le procès de Catane intervient juste après sa défaite aux élections en Toscane, sur un fond d’enquêtes visant des collaborateurs et membres de son parti notamment en Lombardie, région maîtresse de la Ligue. Surtout, il est en baisse dans les sondages quand son alliée de droite Giorgia Meloni est à la hausse.
Pour soutenir son chef juste avant son procès, la Ligue a organisé à Catane une série de débats animés par ses propres députés et d’autres responsables politiques de droite. Ces trois journées intitulées « Les Italiens choisissent la liberté » doivent prouver aux juges que les Italiens soutiennent Salvini dans sa défense des « frontières de la patrie ». L’idée affichée est de transformer Catane en « capitale européenne de la liberté ». Les rencontres se déroulent sur le port, dans les locaux de l’ancienne douane, à côté desquels trône une statue de Jésus les bras ouverts, qui protège les marins. Ce grand bâtiment industriel a été entièrement refait selon un style que l’ex-candidate de la Ligue en Émilie-Romagne Lucia Borgonzoni, sur place pour parler de culture, définit comme « à la mode de Berlin-Est ». En effet, il est très « cosy », des locaux modernes open space, des étagères tapissées de livres, de longues tables en bois.
Catane, la baroque
Ce jeudi, de nombreux députés et responsables politiques y défilent en costume pour prendre part aux débats. Ce décor produit un contraste frappant avec le relatif délabrement qui caractérise les rues et les bâtiments du centre de Catane, ville baroque située à une trentaine de kilomètres de l’Etna. En ce début d’octobre ensoleillé et sous une température de 28 degrés, la vie continue, indifférente à l’événement politique et médiatique qui s’est installé sur le port. Des hommes âgés discutent sur les trottoirs, assis sur des chaises, des commerçants négocient à l’extérieur de leur boutique, des couples filent – sans casques – sur leur scooter, des jeunes filles prient les mains jointes derrière des grilles face à une statue de sainte Agathe, patronne de la ville, avec une dévotion étonnante. Les madones gracieuses affichées à tous les coins de rue ne font pas oublier qu’ici, comme dans le reste de la Sicile, le chômage est endémique : un jeune sur deux de moins de 25 ans est sans emploi.
Quelques jours avant le procès, Salvini s’est déplacé à San Giovanni La Punta, commune d’environ 20 000 habitants à quelques kilomètres de Catane. Ce week-end s’y tiennent les élections pour le nouveau maire. Salvini a effectué le déplacement pour soutenir son candidat Lorenzo Seminerio. Propagande électorale, débats d’idées, soutien pour le procès, tout est mélangé dans une sorte de kermesse médiatique au fin fond du bel paese.
Cependant, malgré son caractère chaleureux, la Sicile semble ne pas avoir tout à fait oublié l’époque où les membres de la Ligue du Nord criaient « Forza Etna ! » (Allez l’Etna) pour souhaiter une éruption du volcan sicilien. Le nombre des participants au meeting dans la place de San Giovanni est très limité. Beaucoup de personnes âgées assises sur des bancs, quelques jeunes curieux et un contingent important de forces armées. Sebastiano Scarabelli, 65 ans, originaire de Acireale et depuis peu à la retraite après une activité de fonctionnaire à la poste, croit que Salvini et Meloni « défendent l’identité nationale et les valeurs chrétiennes » contre la « vision islamique de la vie ». Il rappelle que la Sicile a vécu sous la domination musulmane pendant plus de 200 ans. Un groupe de jeunes d’environ 20 ans, inscrits à l’université de Catane, expliquent être ici pour écouter Salvini, ils défendent des idées de droite, mais sont « orphelins » d’un leader politique. Sergio, 19 ans, confie : « Salvini plaît, car il simplifie les choses, comme quand il affirme “fermons les ports !” mais la question est beaucoup plus complexe que cela. »
Séance photo
Salvini consacre quelques minutes au discours sur scène, où il s’affiche plus modéré et moins enflammé que lors de ses meetings de campagne en Émilie-Romagne. Il se lance ensuite dans son rituel préféré, celui des photos avec tous les participants, un par un. Les gens, dont un petit nombre portent un masque couvrant bouche et nez, s’entassent pour s’approcher de lui, comme si le Covid n’avait jamais existé. Une demi-heure au milieu de ses fans avec, comme d’habitude, la bande-son des vieux hits italiens à fort volume. Cette fois-ci, cependant, quelque chose a changé : Salvini ne tient plus lui-même les téléphones des fans pour prendre les photos. Il a quitté la direction artistique du temps clé de ses apparitions publiques, en raison d’une douleur à l’épaule. Récemment, il s’est affiché sur les réseaux sociaux en train de prendre des anti-inflammatoires…
Son point fort reste cependant sa proximité avec ses fans, mais le confinement – puis sa condition physique – lui joue des tours. À la fin de la séance, fatigué et en sueur, il n’hésite pas à attaquer le gouvernement : « Nous sommes réunis à Catane pour parler de l’avenir pendant que le gouvernement passe du temps à démanteler les lois, comme la quota cento [loi approuvée par le gouvernement Conte I qui rend possible la retraite anticipée, NDLR]. Pendant que d’autres démantèlent, nous construisons », lance-t-il aux journalistes. « Samedi, poursuit-il, je serai au tribunal comme un citoyen normal. »
Comment se sent-il le capitaine ? « Je suis heureux, je serais plus heureux si j’étais à Milan avec mes enfants, mais je suis heureux parce que Catane est une belle terre. » Et il conclut : « C’est la première fois que je vais au tribunal en tant qu’accusé. Il y a beaucoup de vrais crimes et de vrais délinquants qui sont en liberté en Italie et qui ne font pas l’objet d’une enquête pour le moment. Je respecte les juges, les avocats, les enquêteurs, mais je pense qu’il y a d’autres crimes à poursuivre. » Dans l’attente du procès, il faut lui reconnaître une vertu, la ténacité.
Magazine Le Point
https://www.lepoint.fr/