Filippo Sensi, ex-spin doctor de Matteo Renzi et député PD, réagit à notre entretien de Matteo Salvini et ne croit pas au virage européen du leader de la Ligue.
Propos recueillis par Anna Bonalume
Comment le grand entretien accordé par Matteo Salvini au Point a-t-il été reçu en Italie ? Nous en avons discuté avec Filippo Sensi, l’ex « spin doctor » et principal artisan de la montée au pouvoir de Matteo Renzi. Il fut son porte-parole, responsable de son activité médiatique et de ses relations internationales. Il fut également porte-parole de Paolo Gentiloni, futur commissaire européen à l’Économie, et est aujourd’hui député du Parti démocrate (PD). Docteur en philosophie, il a créé le blog politique Nomfup, acronyme de « Not my fucking problem », expression rendue populaire par la série télévisée anglaise The Thick of It. Comparé par Politico au spin doctor de Tony Blair, Alastair Campbell, et défini par le même magazine comme « un expert manipulateur des médias », il commente et analyse le prétendu virage européen de Matteo Salvini. En tant que député, Sensi a vécu la coalition gouvernementale Ligue-5 étoiles du côté de l’opposition. Aujourd’hui, il a décidé de ne pas se rallier au nouveau parti Italia Viva, fondé par son ami Matteo Renzi.
Le Point : Êtes-vous surpris de découvrir un Matteo Salvini si pro-européen et modéré ?

Filippo Sensi : Non, ça ne me surprend pas. C’est une ancienne coutume italienne, celle du transformisme, dont Salvini est un interprète et un épigone. Nihil novi sub sole (« Rien de nouveau sous le soleil »). L’européisme de Salvini me semble une fausse monnaie et, si je devais être plus précis, je dirais un faux rouble. Je n’y compterais pas, je ne me laisserais pas duper.
En Italie et en Europe, Salvini est accusé d’assumer des positions faisant référence au fascisme. Pourtant, dans l’entretien, il a déclaré que le fascisme était une idée morte. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que Salvini n’est pas clair sur ce point. Il joue dangereusement avec une histoire et une identité qui, en Italie, ont un sens précis. Je ne m’inquiète pas de ses idées sur le passé, je m’inquiète plutôt de son projet d’avenir. Et on ne peut pas être surpris à partir du moment où il n’a pas pris ses distances des mouvements comme CasaPound, qui ont annoncé leur présence à la manifestation du 19 octobre à Rome, à côté de la Ligue.
Salvini dit que les mesures qu’il a adoptées pendant ses quatorze mois de gouvernement (réforme de la retraite, loi sur la légitime défense et chute de l’immigration clandestine) ont amélioré la situation en Italie. Qu’en pensez-vous ?
Je pense au contraire que la reforme des retraites pèse lourdement sur les épaules des Italiens au profit d’une petite partie de la population. Que la loi sur la légitime défense a étendu les limites de légalité en Italie : de petites glissades, peut-être, mais avec des effets malheureusement considérables sur le système. Beaucoup de propagande a été faite sur l’immigration clandestine, mais, en réalité, un pays plus fragile et moins sûr a été construit.
Êtes-vous d’accord avec Salvini sur le fait que le seul moyen de réduire la dette italienne est de réduire les impôts ?
Non. Je pense que la réduction des impôts – sacro-sainte dans un pays soumis à une pression fiscale toujours trop élevée – devrait être accompagnée de sérieux et de responsabilité dans les dépenses publiques et d’importantes réformes structurelles, de la justice à l’administration publique.
Salvini semble avoir changé d’avis sur l’euro et « l’Italexit ». Il y a quelques années, il a déclaré : « L’euro est un crime contre l’humanité. » Que pensez-vous de ce virage européen ?
Que ce sont des rumeurs, car plusieurs représentants importants de son mouvement, je pense par exemple à Claudio Borghi, continuent de circuler en disant pis que pendre de l’euro. Les pirouettes de Salvini ne me surprennent pas, il a été tout et le contraire de tout dans sa vie politique. Mais le message qui vient de la Ligue sur l’Europe, aujourd’hui, ne vise pas à la renforcer, mais à isoler davantage l’Italie en la rendant plus faible et plus vulnérable.
Salvini revendique l’étiquette de populiste parce que, d’après lui, cela signifie « être proche des gens ». Êtes-vous d’accord avec cette définition ?
Il confond populaire et populiste. Ce sont deux visions diamétralement opposées du peuple et de la démocratie. Le peuple populiste est un fétiche, un alibi, un prétexte, pas une communauté, un réseau, une histoire plurielle.
Macron en France est présenté en tant que modéré et aborde franchement le problème de l’immigration. Pensez-vous que Salvini est en train de perdre son monopole sur le sujet ?
Je trouve triste qu’un thème aussi central que celui des migrations finisse par être soumis à un monopole idéologique. Je constate qu’en Europe l’avancée tant attendue de la droite la plus radicale, la plus nationaliste et la plus xénophobe n’a pas eu lieu, du moins dans les dimensions redoutées. Et je crois que l’échec du gouvernement Ligue-M5S en Italie a joué un rôle dans cette direction, prouvant le fait que le populisme n’est pas capable de résister à l’épreuve du gouvernement.
Vous êtes un expert en communication. Que pensez-vous de la manière de communiquer de Salvini ?
Il est indéniable que Salvini est un communicateur compétent. Et que l’effacement de la médiation n’est pas efficace, en particulier sur les réseaux sociaux. Cependant, je pense qu’on a insisté de manière excessive sur les résultats qu’il a obtenus, comme cela se produit souvent en Italie quand une personne est au sommet de la vague. Mais, croyez-moi, la force de gravité s’applique également à Salvini et à sa machine de propagande.
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