Un mouvement spontané s’est créé en Italie pour tenter de contrer Matteo Salvini et la Ligue. Les Sardines, c’est leur nom, peuvent-elles faire le poids ?
Par Anna Bonalume
En Italie, le mouvement citoyen anti-Salvini et antipopuliste des Sardines se répand. Le dimanche 1er décembre, sur la place du Dôme, à Milan, 25 000 citoyens ont manifesté sous la pluie. Slogan du rassemblement : « Milan ne se Ligue pas » (la Ligue est le nom du parti de Matteo Salvini). Le mouvement est né au milieu de la campagne électorale pour les élections régionales, qui ont débuté en février et s’achèveront en juin 2020. Le leader de la Ligue a fait de ces élections une priorité dans sa stratégie de reconquête du pouvoir. Il a déjà réussi à conquérir l’Ombrie, fief historique de la gauche. Il a promis également de « libérer » l’Émilie-Romagne, où le scrutin aura lieu le 26 janvier.
C’est le 14 novembre précisément, alors que Salvini tient un meeting électoral à Bologne, que les Sardines apparaissent. Quatre trentenaires organisent sur la Grande Place, en signe de protestation, un flash mob qu’ils appellent « 6 000 sardines » : ils souhaitent une mobilisation telle que les protagonistes s’entassent comme des sardines. En moins de quatre jours, grâce à une annonce postée sur Facebook, ils réunissent environ 15 000 citoyens.
Injures et expressions vulgaires sont interdites
Le mouvement gagne ensuite plusieurs villes italiennes. Mattia Sartori en est le porte-parole. Trente-deux ans, diplômé en sciences politiques, il s’est lancé dans cette aventure avec trois amis : Giulia Trappoloni, physiothérapeute, Andrea Garreffa, diplômé en sciences de la communication, et Roberto Morotti, ingénieur environnemental. Depuis quelques semaines, le portable de Mattia ne cesse de sonner : il est sollicité par les médias, qui s’interrogent sur l’évolution politique du mouvement. « Les journaux, l’Ansa, les émissions télé : ils m’ont tous appelé. Si ça continue comme ça, ma copine va me quitter… »
Comment expliquer le succès de son initiative ? Selon lui, les citoyens italiens « éprouvaient le besoin de retourner dans la rue ». De nombreux participants à ce mouvement de protestation ne s’impliquent plus dans des manifestations ou ne votent plus depuis longtemps. L’idée des organisateurs était de créer une présence alternative à celle de Matteo Salvini afin de « provoquer un réveil collectif ». Surtout, ils proposent un récit politique à l’encontre de celui des populistes : injures et expressions vulgaires sont interdites, dans la rue comme sur Facebook.
Maintenant vous nous avez réveillés, et vous êtes les seuls à avoir peur
Les Sardines ont désormais leur manifeste. Quelques lignes sur Facebook pour déclarer les hostilités à Matteo Salvini et aux populistes : « Chers populistes, il n’y a rien dont vous devez nous libérer. C’est nous qui devons nous débarrasser de votre omniprésence oppressante, à commencer par le filet. Et nous sommes déjà en train de le faire. » Et ils poursuivent : « Maintenant, vous nous avez réveillés, et vous êtes les seuls à avoir peur. » Plusieurs manifestations se sont déjà déroulées et sont attendues dans quarante villes italiennes, du nord au sud de l’Italie, de Bolzano à Sorrente. Samedi 14 décembre, les Sardines seront à Rome, l’occasion pour les promoteurs du mouvement de se compter et de faire, le cas échéant, une démonstration de force.
Au-delà de leur opposition claire à la Ligue, les Sardines expriment de vives critiques à l’égard des partis traditionnels. L’histoire récente de l’Italie regorge d’exemples similaires. Le Mouvement 5 étoiles, à son origine, s’est nourri des mouvements de rue pour se transformer finalement en partie de gouvernement. Son lent déclin et la fragmentation du Parti démocrate donneront-ils l’occasion aux Sardines de s’épanouir hors du filet des populistes ?
Surtout que le mouvement compte déjà de nombreux détracteurs. Notamment Diego Fusaro, le jeune philosophe réputé proche à la fois de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles. Il place le symbole de la sardine au même rang que les autres symboles utilisés par les partis de gauche, le chêne, la marguerite, l’olive, l’arc-en-ciel , qui expriment, selon lui, « la nature ridicule de la gauche postmoderne ayant trahi Marx, les ouvriers et les glorieux marteau et faucille ».
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